[colored_box bgColor= »#f7c101″ textColor= »#222222″]Cette recension a été publiée dans le numéro 17 de Conflits. Si vous souhaitez acheter ce numéro, rendez-vous sur la e-boutique de Conflits en cliquant ici.[/colored_box]
L’Allemagne est notre premier partenaire économique et nous sommes son compagnon au sein du « couple » franco-allemand. Pourtant il n’y a que 2 % des élèves du secondaire français pour étudier l’allemand – l’engouement pour le groupe Tokyo Hotel avait dopé légèrement ce pourcentage, mais il est passé de mode. Et les ouvrages consacrés à notre puissant voisin sont rares. On se félicitera donc de la parution de deux livres qui présentent deux visages différents de l’Allemagne, mais tous les deux finalement bienveillants.
Le premier, rédigé par Jean-Marc Holz entre deux calculs de notre « indice de la puissance globale » est consacré à l’histoire économique allemande, sa spécialité à l’université de Perpignan, et à ses « très riches heures ». En réalité, il s’agit moins d’heures que d’années, chaque chapitre étant consacré à un événement (44 en tout) qui a forgé l’économie allemande. La formule « très riches heures » renvoie au Moyen Âge (on pense au duc de Berry) : le plus ancien événement évoqué n’est-il pas le couronnement d’Othon Ier, le second l’affichage par Luther de ses 95 thèses à Wittenberg, le troisième les traités de Westphalie de 1648 ? Quarante-quatre dates sont ainsi analysées, des plus anciennes aux plus récentes, abordant tous les aspects du succès allemand.
Pour l’auteur, les causes du « miracle allemand » doivent être recherchées dans le passé lointain. Mieux : les causes premières des succès économiques allemands sont sociales et politiques ; la capacité à dégager des consensus est la plus connue et elle apparaît, sous différentes formes, dans plusieurs événements y compris la politique de réforme de Schröder. En découle la cogestion des entreprises, évoquée dès 1848, inventée en février 1920, modifiée en 1951. Le principe est simple : des représentants des salariés siègent dans les conseils de surveillance et les comités directeurs des firmes et participent à leurs principales décisions. L’article se prolonge jusqu’à nos jours où l’auteur constate que le modèle allemand s’est maintenu en se renouvelant, malgré les critiques et les prédictions catastrophistes. Il s’amuse à citer Erik Izraelevicz qui annonçait dans la Tribune et Le Monde, péremptoire, « la mort du consensus à l’allemande ». La formation d’une improbable « grande coalition » après les dernières élections démontre que le consensus tient, pour le meilleur ou pour le pire.
Goût de l’ordre, respect de la loi, cohésion sociale, aptitude au compromis, pragmatisme, intérêt pour la technique, capacité à accepter les sacrifices et à supporter l’austérité si nécessaire, sens de l’organisation… L’Allemagne que décrit Holz est fière de ses succès qu’elle attribue à ses vertus (l’influence protestante ?).
Il faut pourtant se souvenir qu’à la fin des années 1990 elle passait pour l’homme malade de l’Europe comme le rappelle le chapitre consacré à « l’étonnant discours » du président Herzog en 1997, une analyse acérée des faiblesses de son pays appuyé sur la certitude optimiste qu’elles peuvent être relevées, un texte qui fera date et suscitera les réformes du début des années 2000. Holz en tire une conclusion essentielle : le vrai ressort de l’économie est la lucidité et la confiance. En conclusion il cite les événements qui pourraient ébranler la position allemande : vieillissement démographique, dépendance excessive à l’égard des exportations, inégalités sociales montantes (une des conséquences négatives des réformes Schröder), obligation de s’impliquer plus largement dans les affaires mondiales (mais comment et au prix de quels sacrifices ?), pression migratoire extra-européenne… Ce dernier fait pourrait ébranler le carburant du miracle allemand, la confiance que génère, selon les analyses de Robert Putman, une société homogène et que dissout selon lui le multiculturalisme. Holz n’en est pas moins persuadé de la force tranquille de notre voisin, ce que sa plongée dans le temps long lui confirme : l’Allemagne n’a-t-elle pas déjà tant de fois rebondi ?
Les conclusions de Thierry Gobet, historien et économiste, ne sont pas radicalement différentes mais son angle d’attaque est différent. Sa thèse est illustrée par les phrases de George Friedman citées en exergue de l’ouvrage : « C’est toujours le problème récurrent de l’Allemagne, avec son économie très puissante, sa géopolitique fragile, qui ne sait jamais trop comment concilier les deux. Depuis 1871 la question de l’Europe a été la question allemande. Comme la question allemande ressurgit, c’est bien la question que nous devons régler. » L’avenir de l’Europe dépend des choix de Berlin. S’il continue à privilégier sa place dans ce que l’auteur appelle le « système », en un mot à privilégier son insertion dans la mondialisation et son alignement sur les États-Unis, il n’y aura pas de place pour une Europe unie et puissante. Il existe cependant une autre voie qui suppose que l’Allemagne, mais aussi la France, prennent leurs responsabilités. S’il ne cache rien des contentieux passés, Thierry Gobet s’efforce de montrer que les deux pays ont besoin l’un de l’autre pour retrouver toute leur indépendance. À condition que la France se réforme, ce que les Allemands attendent avec une inlassable patience.
PG
[colored_box bgColor= »#DCEDC8″ textColor= »#222222″]Jean-Marc Holz, Les très riches heures de l’histoire économique allemande, Presses universitaires de Perpignan, 2018, 349 pages, 22 euros / Thiery Gobet, Allemagne ; les véritables enjeux, Erick Bonnier éditeur, 2017, 362 pages, 20 euros.[/colored_box]
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